C'est en ces termes que, dans les instructions remises en 1759 au comte de Choiseul, nommé ambassadeur à Vienne, l'un des principaux promoteurs du grand changement survenu au XVIIIe siècle dans la politique de la France, le duc de Choiseul, ministre des affaires étrangères, appréciait ce grave événement, et sa conviction était si profonde qu'il répétait la même pensée, sous la même forme, deux fois encore dans ses instructions diplomatiques, en 1761, pour le comte du Châtelet, en 1766, pour le marquis de Durfort. Le changement avait été radical en effet, et l'étonnement public avait dû être grand. Depuis plus de deux siècles, la France s'était habituée à regarder l'Autriche comme son éternelle rivale. Libre du côté de l'Angleterre qui, pendant tout le Moyen âge, avait été l'ennemie héréditaire, mais que la glorieuse épopée de Jeanne d'Arc et, plus tard, la prise de Calais par François de Guise avaient définitivement rejetée de l'autre côté de la Manche, elle avait eu, depuis le commencement des temps modernes, à défendre non pas seulement sa puissance, mais son existence même contre la double étreinte des Habsbourg, qui, par leurs deux branches, d'Espagne et d'Autriche, la resserraient au Nord, au Midi et à l'Est. Briser cette ceinture qui nous étouffait, repousser au delà de nos frontières naturelles les postes avancés que le roi d'Espagne d'un côté, l'Empereur de l'autre avaient sur le territoire national, reprendre la liberté de nos mouvements et assurer à la couronne de France «le rôle supérieur qui convenait à son ancienneté, à sa dignité et à sa grandeur», tel avait été le but poursuivi, avec une patiente obstination et une habileté patriotique, par les princes qui, depuis François Ier, s'étaient succédé sur le trône et les grands ministres qui les avaient servis. Un moment dissimulée plutôt que suspendue par les troubles religieux sous les derniers Valois, la lutte avait repris avec plus d'éclat et de force sous les Bourbons. Ce combat pour la vie avait été l'origine d'alliances qui avaient dû coûter au Roi Très Chrétien, mais que la nécessité avait imposées: l'alliance avec le sultan et avec les protestants d'Allemagne et de Hollande qui, ennemis de l'Espagne et de l'Autriche, étaient naturellement pour nous d'utiles auxiliaires. Et c'est ainsi que, sous la protection de la France, s'était fondée et développée la grandeur des Hohenzollern, qui, d'électeurs de Brandebourg, étaient devenus rois de Prusse.