On a coutume de voir dans la modernité occidentale le processus par lequel le politique s'est émancipé de la tutelle religieuse. Ce que les religions juive et chrétienne ont apporté, c'est une rupture des liens entre le politique et le sacré. Elles ont désacralisé le politique. Ce travail a compliqué voire inversé la fonction que l'Europe a donnée au religieux : celle de fonder et conserver l'ordre politique et juridique. Il y a, dans la parole biblique, une force de destitution de la puissance. Une face du théologico-politique regarde vers le passé et maintient l'ordre : la figure du Souverain divin sert les puissances de ce monde. Mais l'autre face, messianique, regarde vers l'avenir d'une justice inconditionnelle, et voit au-delà du politique. L'image du Royaume se substitue à celle du Roi des Cieux. La transcendance ne sert plus à fonder, mais à dénoncer l'injustice du présent : l'image du Royaume hante nos régimes. Sa présence paradoxale est une apocalypse du politique. Cette hantise s'appelle, peut-être, la démocratie. Vincent Delecroix enseigne la philosophie des religions à l'EPHE. Il a publié plusieurs essais et romans, parmi lesquels : À la porte (2004), La Chaussure sur le toit (2007), Tombeau d'Achille (2008), Chanter (2012), Poussin. Une journée en Arcadie (2015), Ce n'est point ici le pays de la vérité (2015). Il a reçu, en 2008, le Grand Prix de littérature de l'Académie française pour l'ensemble de son oeuvre.